1994 • Peut-être, quelque part, au pays du soleil levant, deux personnes à qui ils doivent la vie, Hana et lui. Ce n’est pas ce qu’il pense pourtant. Ce sont deux lâches qui n’ont pas hésité à les abandonner dans un orphelinat. Ils ne peuvent pas élever deux gosses, ils n’en n’ont pas les moyens, trop de charges…C’est surement ce genre d’excuses minables que ces deux idiots ont dû se donner pour se soulager la conscience après les avoir jeté. Peut-être sont-ils morts aujourd’hui, ou qu’ils coulent des jours paisibles dans un petit village. Il s’en fout. Il ne veut rien savoir. L’idée d’essayer de les chercher ne lui a jamais traversé l’esprit, il n’est pas con, il ne va pas se prendre la tête pour des personnes qui n’ont même pas voulu de lui ou de sa sœur.

1997• Ces deux américains. La seule figure qu’il considère réellement comme parental. Il a fallu attendre trois ans avant qu’un couple aimant n’accepte de les prendre ensemble avec sa petite-sœur. Oh parce que oui, ils ont beau être jumeaux, le garçon se considère l’ainé. Personne ne peut prouver le contraire après tout et il aime donner l’impression d’avoir de l’autorité parce qu’il serait, présumément, né deux minutes avant Hana.

2001 • Il y’a ces marques de coupures de plus en plus fréquentes. Des accidents évités de peu ou avec le moins de dégâts possible. Et le désarroi, l’incompréhension dans les yeux de ses géniteurs. Il fauttoujours faire très attention à lui et ne pas le quitter des yeux une seule seconde. Ses parents ont beau virer tout objet tranchant, Harper arrive toujours à trouver de quoi se blesser. Cela prit du temps avant que le diagnostic ne soit posé, analgésie congénitale, un dysfonctionnement de son système qui l’empêche tout bonnement de ressentir la moindre douleur. Dans son esprit de gosse ce n’est qu’un simple passe-temps innocent. Il faudra attendre plusieurs années pour qu’il apprenne que l’absence de douleur ne voulait pas pour autant dire qu’il ne se faisait pas du mal, et qu’on n’ait plus à le surveiller continuellement. Il garde certaines fines traces sur les avant-bras et les jambes qui le laissent assez mal à l’aise. Il déteste qu’on les lui fasse remarquer et aura tendance a tout de suite se renfrogner.

2004 • Vie oisive. Vie dénudée de toutes difficultés qu’elle en devient insipide. Tout lui est apporté sur un plateau d’argent, il n’a presque pas le temps de formuler un vœu à voix haute qu’il est déjà exaucé. Ses parents sont simplement dingues de sa sœur et lui. Parfois il a l’impression d’être une poupée entre leurs mains. Une poupée vivante pourtant certaine que personne ne pourra jamais autant les aimer et prendre soin d’eux, surement pas leurs géniteurs en tout cas. Enfants pourris et gâtés. Sa copie féminine et lui-même ne tardent pas à mal tourner. Des êtes abjects et invivables.

2007 • Chaque an qui passe le rend pire que celui qui l’a précédé. Harper est un roi dans les couloirs du collège puis ceux du lycée. Un roi dépourvu des moindres sentiments. Entouré d’un groupe de garçons qui ne démarquaient qu’à travers les mauvaises rumeurs qui fusaient à leurs égards, Harper multiplie les mauvais coups, les moqueries envers ses camarades. Il se nourrit de leurs regards haineux ou effrayés. Un connard. Un enfoiré. Il s’en fout des surnoms qu’il entend derrière son dos. Seul son plaisir personnel compte. Et celui de sa jumelle, qu’il protège et couve. Il ne compte plus le nombre de petits-amis auquel il a passé à tabac simplement pour les beaux yeux de Hana.  

2012 • Japon, terre de ses premiers cris d'enfant. Les souvenirs demeurent toutefois oubliés. Ici, il n'est qu'un étranger qui a du mal à se fondre dans le moule. Mais l'important c'est qu'il a ce semblant d'indépendance en compagnie de sa jumelle. Papa paye toujours tout.

2014 • La douleur est cuisante mais il la supporte malgré tout, Harper observe les lignes se marquer pour toujours sur ses pieds, les courbes des fleurs et les plumes des oiseaux décorer ses pieds. Pari perdu. Gage assumé. Et sa soeur à côté. Drôle de chose que la solidarité fraternelle.