« Kairi, lâches moi la main, tu me gênes. »

C’est ce que la mère avait froidement ordonné à l’enfant en rejetant ses petits doigts timides, avant de prestement répondre à son téléphone portable d’une voix tout à coup plus agréable et avenante. Dévisageant celle qui était censé lui donner le plus d’amour au monde, la petite fille sembla vide, penaude. Elle l’entendait chaque soir se disputer avec son père depuis des semaines ; ce dernier l’accusant de voir quelqu’un d’autre. Est-ce que c’était avec cet autre homme qu’elle parlait à présent ? Tout en la suivant en silence à travers les rues de Tokyo, elle se dit qu’elle pourrait s’enfuir ici et tout de suite ; sa mère étant bien trop occupée pour le remarquer. Probablement que ça l’arrangerait ? Réalisant cela, la petite fille de 10 ans se fit alors violence, ravalant ses larmes. Elle n’allait pas pleurer cette fois-ci, pas pour elle. Elle avait eu droit à sa dernière chance et à présent c’était terminé.

Au début, elle ne s’était pas posé de questions. Peut être que c’était normal que ses parents ne lui témoignent aucune affection. Peut être que c’était comme ça que faisaient les parents pour élever leur enfant convenablement. Son père était trop occupé à diriger cette entreprise mondialement connue qui lui avait fait gagner des millions… et sa mère était plus préoccupée par sa séance de massage et de coiffure que par l’être à qui elle avait donné la vie. Pour l’enfant, tout ceci semblait normal. Et même si elle se sentait terriblement seule parfois, elle l’acceptait. Elle redoublait d’astuce pour se faire remarquer auprès d’eux - en ayant d’excellents résultats à l'école par exemple - et mettait tout en œuvre pour lui arracher un sourire ou une caresse. C’était bien souvent sans succès.

Un jour, alors qu’elle attendait le chauffeur chargé de venir la récupérer à l’école (sa mère étant trop occupée à se vernir les ongles dans le manoir familial), elle fut témoin d’une scène qu’elle n’avait alors encore jamais vu – où alors qu’elle n’avait pas osé observer jusqu’à présent - : une mère allant chercher son fils à l’école, l’accueillit chaleureusement en l’embrassant, avec le plus beau sourire de tous les temps. Les cheveux au vent, Kairi regarda ce spectacle sublime et douloureux à la fois, le cœur serré. Et lorsque le chauffeur arriva finalement, elle ne put s’empêcher de lui demander :

« Ne Hiro, pourquoi ce n’est pas Ka-san qui vient me chercher ?
« Mademoiselle… »
« Elle a pourtant le temps non ?? Pourquoi c’est toi qui vient toujours ?? Je t’aime beaucoup mais quand même, ce n’est pas normal… elle a le temps… Elle a le temps ! »
« Je suis désolé Mademoiselle. »

Se contenta de répondre le chauffeur avec un regard sincèrement triste, comprenant parfaitement ce que cette pauvre gosse pouvait ressentir. Dans un geste mesuré et affectueux à la fois, il frictionna ses cheveux avant de l’inviter à monter dans la voiture.

Les années passèrent doucement et Kairi arrêta de se poser des questions face à l’attitude froide de ses géniteurs. Elle se mit jouer la carte de la froideur avec eux et tout comme eux, comme si c’était ainsi qu’une famille riche de ce nom vivait. Malgré tout, une seule question trainait parfois encore dans sa tête : est ce que toutes les familles richissimes vivaient de cette façon ? Est-ce que l’argent rendait les gens bêtes à ce point ? Peut être bien qu’au final, c’était le monde entier qui était stupide. Peut être que personne n’en valait réellement la peine. Elle n'allait pouvoir compter que sur elle-même. S’aimer elle-même aussi, du moins, essayer. Oui essayer…

Mais étrangement, de nombreux camarades d’école qui se mirent à le faire, sans qu’elle ne comprenne réellement pourquoi. Probablement parce qu’elle était douée en classe et mignonne également. Si cela était surprenant sur le coup, Kairi ne put s’empêcher d’apprécier tous ces compliments qu’on lui offrait comme sur un plateau d’argent. A partir de là, elle se mit à tout faire pour paraître comme étant la fille la plus sympathique de ses écoles, gagnant en popularité. Cela devint une véritable drogue pour elle. Sans le regard des autres qui la faisait briller, elle ne pouvait pas se sentir bien. Alors, même si au fond ce n’était qu’une parade, même si au fond les trois quarts de ces gens n’étaient que de pauvres hypocrites, elle s’en incommoda. Elle ferait tout pour plaire à tout le monde. Du moins, à ceux qui ne chercheraient pas à l’approcher de trop près.

C’est ainsi que le temps passa encore et qu’elle se retrouva à l’université, cette fois-ci suffisamment loin de ce qui lui servait de famille. Et pour tout avouer, cela lui faisait le plus grand bien. Elle avait pouvoir arrêter d’être surveillée, critiquée et surtout ignorée. Mais le sourire sur ses lèvres se voulaient convainquant, au fond d’elle, quelque chose semblait mort. Est-ce qu’elle aussi à présent, elle avait un cœur de pierre ?